Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes volume 85
Fascicule 2
- 222 pages
- Livre broché
- 16.1 x 24 cm
- Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes
- Parution : 03/03/2014
- CLIL : 3146
- EAN13 : 9782252038970
- Code distributeur : 45863
Présentation
Michèle Biraud. – Une double compétence phonologique créatrice d'une double lecture poétique : l'exemple des épigrammes d'Antipater à Pison et au petit-fils d'Auguste (p. 215-234)
Il résulte de la transformation de la nature de l'accent au cours de l'époque hellénistique que la plupart des Grecs cultivés, à l'époque d'Auguste, savaient, comme le peuple, s'exprimer dans un état de langue qui avait perdu les anciennes oppositions quantitatives en même temps que s'instaurait l'accent d'intensité-durée ; néanmoins le maintien de la culture poétique et rhétorique traditionnelle présuppose le maintien de la connaissance du système de prononciation classique fondé sur la prosodie quantitative des syllabes et sur l'accent mélodique. Cette double compétence phonologique n'a pas été sans conséquence sur la production de certains poètes, qui ont essayé de réaliser des tressages d'échos rythmiques et mélodiques harmonieux quel que soit le mode de lecture. Certaines épigrammes d'Antipater de Thessalonique témoignent de recherches élaborées d'organisation rythmique selon ces deux modes de lecture ; bien plus, le travail sur les rimes accentuelles (dans le mode de lecture moderne) n'exclut pas un travail poussé sur les mélodies accentuelles (dans le mode de lecture ancien), notamment dans un poème dédié au petit-fils d'Auguste (A.P. 9, 59).
Michèle Biraud. – Double phonological competence created a double reading of poetry: the example of the epigrams of Antipater to Pison and the grandson of August (p. 215-234)
It results from the transformation of the nature of the accent during the Hellenistic period that most of the cultured Greeks, in the Augustan age, knew, as common people did, how to express themselves in a language which had lost the former quantitative oppositions at the time at which the accent of intensity-duration established its prevalence ; nevertheless the preservation of the poetic culture and traditional rhetoric presupposes the preservation of the knowledge of the classical pronunciation system based on the quantitative prosody of the syllables and on the melodic accent. This double phonological skill was not without consequence on the writings of several poets, who tried to achieve the development of harmonious rhythmic and melodic echoes in both modes of reading. Some epigrams of Antipater of Thessalonica testify to the presence of elaborate searches for rhythmic organization according to both modes of reading ; moreover, the work on the accentual rhymes (in the mode of modern reading) does not exclude an elaborate work on accentual melodies (in the former mode of reading), in particular in a poem dedicated to Augustus' grandson (A.P. 9, 59).
Julien Faguer. – Autour de Isée VI, 36 : retour sur la μίσθωσις οἴκου et sur un problème de traduction (p. 235-243)
Jusqu'à la fin des années 1920, les rares travaux d'économistes consacrés aux sociétés antiques ont suscité un rejet massif de la part des antiquisants et des philologues, privilégiant des approches anachroniques ou strictement juridiques (voir la controverse Bücher-Meyer). Cet intérêt tardif pour les problèmes et les concepts de l'économie doit inciter à aborder avec prudence les passages relatifs au crédit ou au patrimoine dans les sources, leur compréhension restant tributaire de dictionnaires, d'éditions critiques, voire de traductions remontant au xixe siècle. Nous pouvons le voir à propos d'un plaidoyer d'Isée traitant d'une affaire d'héritage. L'imprécision des premiers traducteurs sur les sens d'oikos, d'ousia et d'apotimèma a favorisé un contresens syntaxique, aboutissant à un texte incohérent relayé d'édition en édition. En reprenant les données du problème, je propose une nouvelle traduction du passage, qui reste une source essentielle pour notre connaissance de l'affermage du patrimoine des orphelins dans l'Athènes classique (misthosis oikou), et pour la définition juridico-économique de l'oikos.
Julien Faguer. – A Note on Isaeus, VI, 36 : Reconsidering the μίσθωσις οἴκου and a translation problem (p. 235-243)
Until the late 1920s, the few studies written by economists on ancient societies aroused strong opposition both from ancient historians and philologists, who favoured anachronistic or strictly legal approaches (see the Bücher-Meyer controversy). Such a late interest for economical problems and terminology should encourage us to deal carefully with passages related to credit and property in the sources, since our understanding of them relies on dictionaries, critical editions or even translations dating back to the 19th century. This is the case with one of Isaeus' speeches that concerns an inheritance case. The inaccuracy of the first translators concerning the meaning of 'oikos', ‘ousia' and ‘apotimēma' has led them to misunderstand the syntax of one sentence, producing an inconsistent reading transmitted from edition to edition. After reconsidering the matter, I propose a new translation of this passage, which remains an essential source for understanding the leasing of orphans' estates in Classical Athens (misthōsis oikou) as well as the legal-economical meaning of the oikos.
Pierre Flobert. – La coriandre : du mycénien au latin (p. 245-250)
Ce condiment très employé dans l'Antiquité en cuisine et en médecine est manifestement un emprunt, non au grec alphabétique, comme on l'affirme partout, mais au mycénien. Il faut donc partir de korijadono, écrit aussi koria2dono, bien représenté sur les listes de condiments à Cnossos, Pylos et Mycènes, qui s'interprète koriandnon en tenant compte des règles graphiques. Le latin conserve le d et dissimile le deuxième n en r ; le grec alphabétique atteste κορίαννον peut-être depuis Anacréon, VIe siècle, et en tout cas Aristophane, le d entre deux n s'étant assimilé avant de disparaître nécessairement. Le latin tardif a connu encore une forme dissimilée coliandrum qui a passé en grec byzantine : κολίανδρον. Il existe un témoin roman : espagnol culantro, cilantro. Quant au grec κορίανδρον, c'est un emprunt très tardif au latin, une forme de glossaire, reprise en grec moderne, mais étrangère au grec ancien. Cet emprunt latin au mycénien ouvre des aperçus sur les trafics commerciaux de l'âge du bronze en Italie du sud, en Sicile et au Latium, bien connus par l'archéologie mycénienne ; il s'y ajoute donc des contacts linguistiques qui confirment et approfondissent les relations sociales.
Pierre Flobert. – Coriander : from Mycaenean to Latin (p. 245-250)
The coriander was used among the Greeks and Romans both for cooking and curing. The Latin coriandrum is the product of the Mycenaean korijadono, that is koriandnon, with a phonetical treatment that differs from the Greek κορίαννον (perhaps Anacreon, VIth century, and surely Aristophanes). The dissimilated form coliandrum produced the Greek κολίανδρον (both are late formations). The Mycenaean origin of coriandrum vouches for the existence of commercial relationships between South-Italy, Sicily or Latium and the Mycenaeans during the Bronze Age. The evidence of language is prevalent in that history.
Philippe Le Doze. – Choisir son roi (Virgile, Georg., 4, 67-108) (p. 251-266)
Georg. 4, 67-108 est à lire comme un discours analogique. La ruche est le prétexte à une méditation sur les guerres civiles (ici décrites comme l'acte impie par excellence), mais aussi sur la compétition pour le pouvoir. Conscient des évolutions institutionnelles à l'œuvre depuis de nombreuses décennies à Rome, Virgile affirme que le « roi » n'est pas légitime en tant que tel. Non seulement il doit être choisi parmi les meilleurs, mais il doit aussi être contrôlé, façonné, de manière à offrir les garanties morales qui agiront comme une limite à sa toute-puissance. Derrière la question des vertus du prince, c'est aussi la valeur morale de l'ensemble de la population qui est en jeu. Le rex joue le rôle du coryphée, le peuple se mettant au diapason. Ces quelques vers montrent que Virgile a développé une réflexion de nature politique en lien avec les bouleversements que connaissait Rome à cette période.
Philippe Le Doze. – Choosing the right king (Vergil, Georg., 4, 67-108) (p. 251-266)
Georg. 4, 67-108 has to be considered as an analogical discourse. The beehive provides an analogy for reflecting on the Civil wars (the impious act par excellence as Vergil tells us) as well as on the struggle for power. In his awareness of the contemporary institutional changes, Vergil asserts that the king is no longer legitimate as such. Not only he has to be chosen among the best, but also he has to be shaped and controlled so as to offer moral guarantees that will limit his overwhelming power. Behind the question of the virtues of the prince, appears a further question about the moral value of the population as a whole. As the rex assumes the role of coryphaeus, the people fall in step with him. These few lines prove that Vergil developed a philosophy related to the political upheavals that Rome was undergoing at the time.
Claire Le Feuvre. – Πολλοὶ μὲν βόες ἀργοὶ ὀρέχθεον / ἐρέχθεον / ῥόχθεον : que lisaient les auteurs classiques en Il. 23, 30 ? (p. 267-294)
La forme ὀρέχθεον de Il. 23, 30 connaît une variante ἐρέχθεον, retenue par Aristarque. Cette variante était déjà connue au ve s., c'est elle qu'on trouve dans un fragment d'Eschyle (ἐρεχθεῖ fr. 158 TrGF), parallèle à un fragment d'Aristias (ὠρέχθει fr. 6 TrGF) : Eschyle et Aristias retiennent chacun une leçon différente et témoignent de l'ancienneté de la controverse. L'unique attestation du verbe ἐρέχθω chez Eschyle est donc à éliminer. On propose de voir dans le ὀρέχθεον homérique une forme issue de l'aoriste ὠρέχθην de ὀρέγω, utilisé en attique classique avec le sens moyen de « désirer », en face de ὀρέγομαι, mais qui pouvait avoir un sens passif « je fus étendu » à l'origine, la neutralisation de l'opposition moyen / passif étant secondaire en attique. Un présent thématique contracte ὀρεχθέω peut être tiré de l'aoriste ὠρέχθην via le participe, dans une formule *κεῖται ὀρεχθείς # (lesb. ὀρέχθεις), variante vocalique de κεῖτο τανυσθείς # : ce participe peut être en éolien un participe aoriste passif comme en ionien mais aussi un participe présent correspondant au type contracte en -έων de l'ionien. L'erreur d'identification serait liée à la transposition de l'éolien en ionien, elle serait due à un aède pour lequel ὠρέχθην était déjà l'aoriste de ὀρέγομαι et n'avait plus d'emploi passif, et qui a donc attribué ce ὀρέχθεις avec valeur passive à un nouveau présent contracte ὀρεχθέω. Il faudrait donc comprendre en Il. 23, 30 « les bœufs étaient étendus, égorgés », interprétation qu'on trouve déjà chez certains commentateurs anciens. Cette forme n'a aucun rapport avec ἐρέχθω ni avec ῥοχθέω. En revanche, ces deux derniers verbes sont sans doute apparentés et forment un couple présent radical / présent itératif du type φέρω / φορέω, dont le sens premier est « battre, marteler ». Ῥοχθέω n'est donc pas un verbe de sonorité onomatopéique mais une formation dérivée selon un schéma régulier. Le sens de « gronder » qu'on admet pour les emplois homériques et post-homériques résulte d'une réinterprétation dans l'emploi homérique où « le flot bat contre le rivage », réinterprété « le flot gronde contre le rivage » sans doute en Od. 5, 402-403. Le rapprochement étymologique de ἐρέχθω avec skr. rákṣas- « dommage, blessure », av. rāšaiia- « endommager », est défendable, mais n'est pas certain.
Claire Le Feuvre. – Πολλοὶ μὲν βόες ἀργοὶ ὀρέχθεον / ἐρέχθεον / ῥόχθεον : what did classical writers read in Ψ 30 ? (p. 267-294)
The Homeric imperfect ὀρέχθεον (Ψ 30) is also transmitted as ἐρέχθεον, which was preferred by Aristarchus. This varia lectio was already known in the 5th c. and is found in an Æschylean fragment (ἐρεχθεῖ fr. 158 TrGF), parallel to a fragment by Aristias (ὠρέχθει fr. 6 TrGF), each poet retaining a different reading for the Homeric line. This eliminates the only occurrence of the verb ἐρέχθω in Æschylus. We should analyze the Homeric ὀρέχθεον as a secondary form derived from the aorist ὠρέχθην belonging to ὀρέγω, used in Attic as a middle corresponding to ὀρέγομαι « to desire » : this aorist must have had originally a passive meaning « was stretched out », and the neutralization of the opposition between middle and passive in Attic is secondary. A present ὀρεχθέω can originate in the aorist ὠρέχθην via the participle, in a formula *κεῖται ὀρεχθείς # (Lesb. ὀρέχθεις), vocalic variant of κεῖτο τανυσθείς # : in Aeolic, this participle is a passive aorist participle, as in Ionic, but can also be analyzed as a present active participle corresponding to the Ionic contract type in -έων. The wrong identification would be a consequence of the transposition from Æolic to Ionic, because contemporary Ionic had lost the passive value of ὠρέχθην and knew only the middle value which is that of classic Ionic-Attic, so that an Æol. passive ὀρέχθεις was reassigned not to ὠρέχθην, but to a different verb ὀρεχθέω. One should therefore understand in Ψ 30 « oxen were laid down, slaughtered », interpretation which is already found in some scholia. This ὀρέχθεον has nothing to do with either ἐρέχθω or ῥοχθέω. These two verbs, however, are likely to belong with each other, as a pair consisting of a radical present and a derived iterative present (as φέρω / φορέω), the primary meaning of which is « to beat, to hammer ». Thus ῥοχθέω is not an onomatopeic verb, but a regular derivative. The meaning « to roar » which is attributed to this verb, both in Homeric and post-Homeric occurrences, results from a reinterpretation of the Homeric context in which « the waves beat against the shore » was understood as « the waves roar against the shore », probably in ε 402-403. The etymological connection of ἐρέχθω with Sanscrite rákṣas- « damage », Avestan rāšaiia- « to cause damage » can be strengthened by this analysis of ἐρέχθω / ῥοχθέω, but remains uncertain.
Francesca Maltomini. – Nouvelles recherches sur les sylloges mineures d'épigrammes grecques (p. 295-318)
Une analyse attentive des contenus et de la structure du recueil d'épigrammes anciens écrit par Constantin Lascaris dans les ff. 101-136 du manuscrit Matrit. BN 4562 (olim N-24) permet d'aboutir à des conclusions fiables sur ses sources et sur sa valeur culturelle : si l'importance de ce recueil sur le plan textuel est assez limitée, les principes qui ont gouverné sa composition sont, par contre, très intéressants pour l'histoire des anthologies épigrammatiques. L'attention à certaines thématiques qui est évidente dans le choix opéré par Lascaris est étroitement liée au contexte culturel dans lequel le savant byzantin émigré en Italie a vécu et travaillé.
Francesca Maltomini. – New Researches on the Sillogae Minores of Greek Epigrams (p. 295-318)
An accurate study of the contents and structure of the epigrammatic collection written by Constantin Lascaris in ms. Matrit. BN 4562 (olim N-24), ff. 101-136 leads to fairly certain conclusions about its sources and its cultural value. Although its textual contribution is limited, the principles that guided its composition are very interesting for the history of epigrammatic anthologies. The special attention devoted by Lascaris to specific themes is linked to the cultural context in which the Byzantine scholar lived and worked during his stay in Italy.
Camille Rambourg. – Aristophane, Grenouilles, 1437-1465 : un éclairage rhétorique (p. 319-333)
La dernière épreuve, décisive, du concours qui oppose Eschyle à Euripide dans les Grenouilles d'Aristophane (1437-65) consiste à répondre à la question Comment sauver Athènes ? ; mais le texte qui nous a été transmis est incompréhensible en l'état. Les nombreuses reconstructions qui en ont été proposées divergent profondément quant à l'attribution des répliques, c'est-à-dire des réponses, aux deux poètes, et de là quant à la valeur de ces réponses et à l'interprétation de la décision de Dionysos en faveur d'Eschyle. Or il semblerait que la prise en compte du contexte rhétorique de la fin du ve siècle, jusqu'ici peu mis à contribution pour l'interprétation du passage, puisse fournir à la fois un argument supplémentaire à l'appui des reconstructions d'A.H. Sommerstein (1996) et de N.G. Wilson (2007) et une réponse nuancée à la question de la valeur des solutions avancées par chacun des deux poètes et de leur rôle dans l'issue du concours.
Camille Rambourg. – Aristophanes, Frogs, 1437-1465 : a rhetorical point of view (p. 319-333)
In the last and decisive round of the contest between Aeschylus and Euripides in Aristophanes' Frogs (1437-65), the two poets are to answer Dionysus' question How to rescue Athens ? The extant text, however, is very difficult to follow at this point. Numerous attempts have been made to mend it, but they differ widely from each other as to the attribution of the answers to the two poets, and also, as a result, as to the value of the answers and the interpretation of Dionysus' judgment in favour of Aeschylus. Now it seems that, by taking into account the rhetorical context of the late fifth century, which has so far been neglected for the interpretation of these lines, we can offer not only an additional argument in favour of the solutions proposed by A.H. Sommerstein (1996) and N.G. Wilson (2007), but also a nuanced reply to the question of the value of the poets' answers and of their significance for the outcome of the contest.