Études de linguistique appliquée - N°2/2011
Le public Erasmus. Stratégies d'enseignement et d'appropriation de la langue du pays d'accueil
- 128 pages
- Livre broché
- 15 x 23 cm
- Études de linguistique appliquée
- Première publication : 30/12/2011
- Dernier tirage : 2012
- CLIL : 3146
- EAN13 : 9782252038147
- Code distributeur : 41205
Présentation
MOBILITÉ ET APPRENTISSAGE LINGUISTIQUE : ÉTUDE DU DISCOURS MÉTA-LINGUISTIQUE D'APPRENANTS ERASMUS
Nous proposons d'étudier ici la réalité complexe de la mobilité étudiante Erasmus en ce qu'elle influence l'émergence et le développement de la conscience métalinguistique des étudiants. Nous verrons que dans le processus d'apprentissage linguistique (de la langue du pays d'accueil mais aussi parfois d'autres langues), les apprenants vont développer des théories spontanées sur la langue cible, des savoirs dits « ordinaires » ou « profanes » (Beacco, 2004 ; Paveau, 2005, 2008), qui se fondent sur des représentations plus ou moins axiologiques voire un imaginaire linguistique puriste. Nous analyserons la mise en discours de ces représentations afin de voir comment les conditions d'apprentissage linguistique des étudiants se voient gouvernées par des normes diverses, socialement et culturellement construites. Des extraits du corpus constitué dans le cadre de notre recherche doctorale viendront étayer notre propos.
LES MARQUEURS DISCURSIFS, UN OBJET D'ENSEIGNEMENT PERTINENT POUR LES ÉTUDIANTS ERASMUS ?
Les étudiants Erasmus constituent un public particulièrement problématique pour l'enseignant de français langue étrangère (FLE). En effet, le profil et les besoins en langue de ces apprenants sont très variés et les objectifs d'apprentissage sont pluriels, orientés à la fois vers des exigences universitaires, puisque les apprenants Erasmus doivent être capables de suivre un cours et de passer des examens en français, mais aussi vers le langage parlé de la vie quotidienne, les étudiants Erasmus devant souvent pour la première fois vivre seuls, sans le soutien logistique de la famille. Comment répondre à tous ces objectifs et satisfaire les besoins d'un public si varié ? Tandis que l'offre d'enseignement en FLE aux étudiants Erasmus est encore largement orientée vers le français général, la recherche en didactique s'intéresse plutôt à l'enseignement/apprentissage du français dit « académique » ou « universitaire » pour étudiants étrangers. Partant de ce constat, nous réfléchirons sur les objectifs et les objets d'enseignement nécessairement transversaux des cours de FLE pour étudiants Erasmus. Plus précisément en ce qui concerne les objets linguistiques enseignés au public Erasmus, nous voudrions apporter une petite contribution, en proposant une réflexion à la fois linguistique et didactique sur les marqueurs discursifs du français. Cette notion qui fait l'objet de nombreuses recherches ces dernières années en linguistique ne semble pas encore avoir intéressé la didactique des langues. Et pourtant, en fait, tiens, bon sont bien connus des enseignants de FLE, sommés d'expliquer des emplois fort étranges pour les oreilles d'un public Erasmus peu habitué au parler de l'étudiant français. Ce que nous essaierons donc de montrer, c'est que les marqueurs discursifs constituent un objet d'enseignement particulièrement pertinent pour le public Erasmus parce qu'ils relèvent à la fois du français académique et du français quotidien. Cependant, pour qu'ils deviennent objets d'enseignement autrement qu'à travers des listes notionnelles (les connecteurs logiques de cause, conséquence etc.), il convient de mener une véritable réflexion sur la transposition didactique des descriptions linguistiques existantes. Pour cela, nous nous appuierons sur le projet d'Inventaire raisonné des marqueurs discursifs du français dirigé par Paillard (Université Paris 7-Denis Diderot) et Vu Thi (Université de Hanoï) avec le soutien de l'Agence universitaire de la Francophonie. Après une brève présentation des objectifs d'enseignement/apprentissage du français au public Erasmus et des développements récents du « français sur objectifs universitaires », nous montrerons la pertinence et les modalités possibles d'un enseignement des marqueurs discursifs à ce type de public à travers l'exemple du marqueur en fait.
INTERLANGUE ERASMUS, VERS UN EUROFRANÇAIS ?
Public en pleine expansion, les étudiants Erasmus constituent un public spécifique qui intéresse de plus en plus la didactique des langues et des cultures. Dans le cadre de la mobilité européenne, des pro-grammes de formation linguistiques ont vu le jour, souvent inspirées du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). Les descriptions des savoir-faire proposés restent souvent dépendantes de l'approche communicative (même si elle s'est dernièrement transformée en perspective actionnelle : apprendre à accomplir des tâches langagières) et de l'objectif d'une grammaire idéalisée d'un locuteur natif. Or, chez ce public, on peut remarquer certaines pratiques interactionnelles qui peuvent donner naissance à des interlangues de groupes qui ne peuvent que difficilement donner lieu à des évaluations.
ERASMUS ET CLASSES D'INITIATION : LA DIDACTIQUE IMPOSSIBLE
On posera le paradoxe d'une langue acquise sans le « savoir » : chez les élèves non francophones nouvellement arrivés en CLIN, le monde de l'école est l'univers privilégié de l'apprentissage du français. Nulle part ailleurs les interactions langagières n'auront un tel impact. Tout nous porte à croire que ces enfants commencent à s'approprier les régularités d'une langue seconde dans le cadre exclusif de situations naturelles d'interlocutions entre pairs et non par le biais d'un quelconque enseignement didactique. C'est la notion de « parler de l'école » qui est ici pertinente puisqu'elle excède les catégories habituelles de la langue de scolarisation. Situation particulière qui offre des ressemblances avec celle d'autres « primo-arrivants » : les étudiants Erasmus.
ERASMUS, LIEUX D'ÉCRITURE ET ÉCRITURE DES LIEUX POUR PUBLIC NOMADE
Le public Erasmus est un public nomade. Non captif, il s'échappe des programmes, des évaluations, des classes ; éphémère, il ne reste qu'un temps qui se dilate par son intensité vécue mais ne coïncide pas avec les rythmes institutionnels ; plurilingue, il surfe sur la norme et pratique de façon décomplexée le code-switching et l'intercompréhension ; extraterritorial : il jouit de sa position liminaire, invente des lieux tiers… La didactique du FLE est mise à l'épreuve par ce public tout à la fois exigeant et fuyant. L'une des voies didactiques possibles pour relier les deux pôles de leur apprentissage linguistique, l'expérience directe et le cours, est celle de l'écriture d'élaboration du vécu qui prend souvent la forme de l'écriture délocalisée sur la toile ou de l'écriture hybride entre le journal de voyage et le journal d'ethnologue dans les journaux d'apprentissage. Dans ce filon, nous examinerons les lieux d'écriture des Erasmus et leur potentiel en didactique : les allers et retours entre la classe (virtuelle ou non) et le corps social appellent à une méthodologique spécifique qui bouleverse les pratiques enseignantes. La voix des Erasmus est souvent sollicitée dans des visées institutionnelles promotionnelles mais leur prise de parole effective qui émerge d'une brève recherche sur les lieux d'expression des Erasmus dans l'espace public, conduit à poser sur ce groupe social un regard renouvelé : non plus hôtes étrangers à assister ou à mettre en vitrine mais agents de nouvelles modalités de citoyenneté active.
PRATIQUES DIDACTIQUES ET CULTURE PARTAGÉE : APPRENDRE À S'INTÉGRER DANS UN SYSTÈME UNIVERSITAIRE AUTRE EN TANT QU'ÉTUDIANT ERASMUS
À partir de la distinction mise au point par Robert Galisson entre culture partagée et culture savante dans les sociétés modernes où l'éducation est devenue publique et obligatoire, il est possible de considérer les cultures scolaires, y compris les pratiques et les représentations auxquelles elles renvoient, comme des cultures hybrides, à cheval entre le savant et le partagé.
Le souvenir d'un certain type d'exercice (par exemple la dictée en France ou le tema en Italie, sorte d'essai où le talent naturel l'emporte sur toute compétence à acquérir) hante la mémoire de tout individu ayant vécu cette expérience scolaire, et peut devenir une source de narration et de partage.
L'étudiant en mobilité doit faire face non seulement à un système d'enseignement et d'évaluation inconnu, mais il doit également comprendre la valeur symbolique de certaines pratiques universitaires ; or, il s'avère que ces spécificités sont souvent identifiées comme des obstacles à l'intégration des étudiants étrangers dans l'environnement universitaire du pays d'accueil.
Voilà pourquoi enquêter sur quelques-unes de ces pratiques caractéristiques des systèmes universitaires de différents pays peut renseigner sur la façon d'après laquelle les auto- et hétéro-représentations des identités culturelles se construisent.
Sur la base d'un corpus de textes argumentatifs en langue étrangère (FLE) adressés à des étudiants italiens destinés à bénéficier (ou bénéficiaires) d'un séjour Erasmus en France, et d'autres instruments d'analyse (profil langagier, interviews, thinking aloud protocols), cette recherche a pour objet d'observer dans quelle mesure les pratiques de classe sont liées au rapport entre langue, culture et scolarité.
D'un point de vue didactique, cette réflexion permet d'une part de fournir aux étudiants en mobilité Erasmus (en particulier outgoing) un outil pour développer les habilités linguistiques et les stratégies cognitives et métacognitives nécessaires à la bonne réalisation d'une période d'étude à l'étranger, et pour remobiliser successivement ces compétences dans d'autres contextes académiques. D'autre part, analyser l'origine des pratiques scolaires dans leurs valeurs symboliques peut constituer une occasion de décentration par l'autoréflexion sur les pratiques autochtones, vécues comme évidentes, naturelles, universelles.
L'INTERCOMPRÉHENSION, UN ATOUT POUR LES ÉTUDIANTS ERASMUS ?
En septembre 2010, l'Université catholique portugaise a organisé trois cours intensifs (EILC) pour des étudiants Erasmus en début de mobilité au Portugal. Sur les 60 heures prévues pour chacun de ces cours (niveau débutant et niveau intermédiaire), 15 heures ont visé un apprentissage formel en Intercompréhension. Notre article présentera les grandes lignes méthodologiques que nous avons suivies dans le cadre d'une Didactique de l'Intercompréhension et analysera les résultats obtenus par l'application d'un questionnaire adressé aux 51 étudiants, concernant la façon dont ils ont accueilli l'Intercompréhension et son influence immédiate sur leur adaptation initiale dans un cadre institutionnel, social et linguistique qui leur était inconnu.